« Privatiser et mettre en concurrence ça fait baisser les prix, le public c’est les méchants », je caricature mais on a tous déjà entendus cette phrase. Je vais expliquer en quoi on en est au stade où c’est littéralement de la propagande, fausse, avec un exemple récent : la libéralisation du marché de l’énergie (et notamment de l’électricité), qui date de 2006-2007.
Résumé (ou spoiler) : le prix du kWh a pris +60% en 15 ans pour une période pourtant quasi déflationniste (officiellement, inflation de 1% par an environ). Et le pire : on a monté les prix volontairement pour que la concurrence puisse se faire ! Oui oui. Et maintenant que les prix du gaz explosent, la France (qui n’a presque aucune centrale au gaz) va être impactée à cause du marché Européen « libéré » !
Le prix de l’électricité explose en cette fin 2021 en Europe : on sera touchés en France, merci au gaz alors que nous sommes au nucléaire
Je n’ai pas pris ce sujet par hasard vous l’aurez deviné, c’est d’actualité. Avec la reprise mondiale suite au Covid, l’inflation arrive, ou est même déjà là (même si beaucoup d’institutions n’y croient pas trop comme la BCE, argument principal : les salaires ne suivront pas cette fois contrairement aux années 70 et 80, étonnant). En effet la plupart des matières premières explosent, et notamment le prix du gaz naturel, utilisé à 19% par l’UE pour produire son électricité (en 2018).
Or, suite à la volonté de l’UE (et à celle de Sarko et Fillon, merci de nous avoir fait ratifier Lisbonne de force alors que le référendum avait dit non), le marché Européen de l’électricité est « libéralisé » : boursier et partagé entre les pays, bien que nous ayons heureusement un pied en dehors nous, contrairement à la plupart des autres pays.
Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? L’électricité, un bien comme un autre en soit, est vendue en bourse par des entreprises productrices et achetée par des opérateurs, qui ensuite nous la vendent à nous, consommateurs et entreprises qui en avons besoin pour vivre.
Puisque l’électricité a la particularité de ne pas être très stockable, si le besoin augmente le système boursier fait en sorte que le prix du MWh atteigne celui du coût de fonctionnement (+ marge évidemment) de la centrale électrique à mettre en route pour compenser ce besoin. C’est pourquoi le prix devient en partie dépendant de celui du gaz actuellement, car on a besoin de démarrer les centrales à gaz (autrement éteintes) avec l’hiver qui arrive. Et on n’y est pas encore vraiment à cet hiver où la demande sera évidemment encore plus forte, ça promet !
Cela veut dire déjà, que des personnes peu scrupuleuses peuvent faire joujou avec les cours boursiers et spéculer que cette denrée va peut-être devenir rare à terme, et donc difficile d’accès pour toute une classe pauvre dans les pays Européens, ce faisant renforçant ledit processus. Oui on sait que la spéculation massive peut avoir un réel effet sur le cours d’un produit, il paraît que l’explosion du cours du pétrole des années 2000 (jusqu’à 2008) en est majoritairement issu - explosion des cours ayant en partie causé l’énorme crise financière de l’époque dont on ne s’est toujours pas remis, me dois-je rappeler. Mais s’il n’y avait que ça encore…
Le problème est que nous Européens, arrivons à une réelle situation de crise comme je disais, déjà en cours en Espagne par exemple : puisque le prix du Gaz explose et qu’il est important dans le mix énergétique, le prix du MWh explose sur les bourses Européennes, et évidemment quand un fournisseur achète son électricité 100% plus chère il va reporter les prix sur le consommateur final, il a une entreprise à tenir il ne peut pas faire ce cadeau indéfiniment.
Pour donner un ordre de grandeur, on était plutôt à 35€ le MWh en 2019, pour 130€ en moyenne sur le marché Européen à l’heure où j’écris ces lignes, ça pique ! (On a atteint les 170 en Octobre et les prix ont un peu baissé depuis, merci à la Russie et à notre dépendance énergétique folle envers eux – même Staline n’en aurait pas rêvé d’arriver à cette échelle de contrôle sur l’Europe). Qui va soudainement accepter de payer presque 4x plus cher son électricité ?
Qui va payer son électricité bien plus chère sans descendre dans la rue ? Personne, donc des aides sont en cours de réflexion
Heureusement en France nous avons gardé un pied à l’extérieur comme je disais, à travers notre nucléaire : nos centrales sont rentabilisées depuis longtemps et publiques. Elles produisent du MWh au coût de l’Uranium et des salariés de la filière (avec un rendement très élevé face à la quantité de matière première requise).
Cela nous a permis historiquement (depuis 50 ans) d’avoir l’électricité la moins chère d’Europe ou presque. C’est toujours le cas mais de moins en moins. Et là, on va quand même se manger 10 à 12% d’augmentation annoncée en Février lorsqu’il faudra actualiser les prix. En effet puisque nous avons un tarif régulé public, il y a une date de mise à jour pour coller à la réalité : en Février et en Août de chaque année.
Eh oui ! Vous l’aurez compris, parce que Bruxelles nous empêche d’inonder le réseau d’électricité peu chère issue du nucléaire (nous avons en effet un quota maximum de production). Vous vous rendez compte sinon, ça voudrait dire qu’une entreprise de monopole public ferait de la concurrence déloyale aux honnêtes entrepreneurs derrière leurs centrales au gaz en Pologne et ailleurs, quelle monstruosité ! Puis ça serait bête de réduire les émissions de CO2 de l’UE en forçant la concurrence de cette manière tient ! Le climat c’est cool d’en parler à chaque COP mais quand il faut agir où sont les « décideurs » ?
Alors heureusement nous ne sommes pas aux Etats Unis ou dans un pays tout aussi gerbant comme le Royaume-Uni, il nous reste des soupçons de socialisme et de bon sens : l’état va sûrement baisser les taxes sur l’électricité pour absorber une partie de cette augmentation (le chiffre de 4% d’augmentation maximum a été cité) et fournir des « chèques énergie » pour payer une partie de la hausse.
Cela va se faire au prix de l’endettement public et des pauvres, comme toujours !
Cependant ce n’est pas forcément le « meilleur bon sens » que l’on puisse trouver : ces mesures vont se faire au prix d’une dette publique qui va continuer à se creuser, ce qui va alimenter les discours qu’il faut privatiser car « le public crée de la dette sans jamais rembourser blablabla ». Alors que c’est bien ici la privatisation du réseau qui nous amène à cette situation, l’œuf ou la poule ? J’ai la réponse. (Oui certaines taxes vont profiter de la hausse des coûts, mais beaucoup sont fixes au kWh et l’état sera perdant au global avec le gaz, les calculs ont déjà été faits).
Dans le même temps les prix du gaz ont été gelés. Comme ça l’état va compenser les fournisseurs de la différence (ils couleraient tous sinon) et le consommateur final,qui se trouve aussi être un électeur, n’y verra rien. Enfin, ce n’est pas avec un chèque de 100€ seulement que les gens qui se chauffent au gaz vont mieux s’en sortir. Pour rappel, +60% des tarifs réglementés sur un an oui oui, pour une facture de 600€ annuelle on tombe sur pas loin de 1000€ à la fin, 100€ d’aide c’est quoi ? : De la « poudre de perlimpinpin » pour faire croire qu’on aide les gens mis en mauvaise situation avec toute cette histoire.
D’ailleurs notre cher « décideur-ministre » à l’économie commence à s’en offusquer de ces hausses (attention ça rigole pas), alors que ça dure depuis plusieurs mois déjà (croiser les doigts que ça rebaisse d’ici là ne fonctionne pas apparemment) et alors qu’il est bien évidemment partisan de tout cela en coulisses. Pourquoi faire semblant publiquement alors ?
Parce qu’évidemment l’élection présidentielle de 2022 sera seulement 3 mois après cette augmentation d’électricité, ça pose question quand on est dans le camp sortant - qui a de bonnes chances de gagner à nouveau vu la pauvreté de l’offre politique actuelle (la preuve : plus personne ne vote mais la télé et nos « élites » nous disent que ce n’est pas la faute des politiques bien évidemment, sommes-nous bêtes ! Pardon je divague). Bon de toute façon l’UE et certains pays comme l’Allemagne lui ont dit « non bye », donc sujet clos.
Et donc je disais que ce n’était pas forcément la meilleure solution. Pourquoi ? Parce que rien ne vaudrait une nouvelle taxe temporaire sur les autres entreprises de l’énergie (autres que le gaz : hydraulique, nucléaire etc) pour récupérer les bénéfices soudains qu’ils font pour la même charge et aucune valeur ajoutée de plus. Cette taxe aurait évidemment servi à donner de vrais « chèques énergie » qui composent totalement le surcoût, pour les vraies personnes en difficulté suite à la hausse de ces tarifs (quand on touche 2.000€ on n’est pas en difficulté à ce niveau à moins d’être Parisien). Chez nous on a bien eu l’idée de ces chèques comme je disais, mais très faibles et sans aucune contrepartie pour les producteurs, vous y êtes presque encore un petit effort chères « élites » ! Et là je parle évidemment pour tous les pays de l’UE, pas juste la France.
Bon je suis un peu mauvaise langue c’est vrai je le reconnais. L’état est actionnaire chez EDF à hauteur de 84%, donc il y aura quand même un retour par les dividendes. Mais il sera bien indirect ici, c’est là toute la différence. Pas sûr qu’à la fin la balance sera positive, mais ça seul l’avenir nous le dira pour sûr.
Oui oui, pour que la privatisation de l’électricité fonctionne, il a fallu augmenter le tarif régulé
Eh oui, puisque comme on vient de le voir, le nucléaire est produit à tarif plus que compétitif, il a fallu augmenter les prix pour laisser la voie à une concurrence possible. Comment les distributeurs pouvaient-ils faire sinon en achetant de l’électricité sur le marché Européen ? Voilà pourquoi l’électricité a pris +60% en 15 ans. On privatise, on met des quotas sur la production pas chère et on augmente le tarif régulé pour que les boîtes privées qui achètent sur le marché Européen puissent proposer des offres un tout petit peu moins chères ! Qui croit encore à la propagande habituelle que privatiser égal toujours baisse des prix ?
C’est peut-être vrai dans certains cas c’est vrai, peut être que parfois la concurrence fait baisser les prix de manière mathématique oui. Mais tout comme pour les autoroutes, où est la concurrence ici ? La production et la distribution ne sont pas mises en concurrence, tout passe par le même réseau. La seule concurrence est au niveau marketing : à celui qui trouvera l’offre la plus bullshit (le greenwashing a la poupe, à se vanter que c’est de l’électricité 100% verte blabla).
Le consommateur final paie en effet l’abonnement et le droit de consommer ce qui passe dans un câble qui sera toujours là peu importe le logo de son fournisseur, et le kWh sera toujours le même : celui pris pour un tiers sur le cours en bourse, qui navigue en permanence dans notre réseau à 400kV, peu importe comment il est produit.
Notre gouvernement de spécialistes espère maintenant sans agir plus que les prix redescendent après l’hiver (chose habituelle jusqu’ici puisque c’est en hiver qu’on a le plus besoin d’énergie), c’est oublier qu’ils explosent depuis fin Août en aucun cas en prévision de l’hiver… En bref, on se retrouve en Février pour bien « rigoler » !